Le Pudding à l’arsenic : une version industrielle signée Fonderie Horne

Par
Isabelle Fortin-Rondeau
November 18, 2025

La ville de Rouyn-Noranda et sa tristement célèbre Fonderie Horne sont encore revenus dans l’actualité ces dernières semaines. Que ce soit pour la sortie publique de la chambre de commerce mettant en doute la Santé publique, la demande de Glencore (propriétaire de la fonderie) de déroger à l’entente signée avec le gouvernement ou même une rumeur de fermeture, le dossier continue d’être alimenté par de nombreux rebondissements.

Manifestation du 7 septembre 2025 à Rouyn-Noranda - Crédit Alex Alisich

Arsenic et vieilles poubelles

La Fonderie Horne, à Rouyn‑Noranda, a commencé ses opérations en décembre 1927. Dans les dernières années, son modèle d'affaires a beaucoup changé et y sont maintenant traités des concentrés de cuivre, des appareils électroniques désuets et des déchets industriels.

La fonderie, située en plein cœur de la ville et très vétuste, est donc devenue un brûleur industriel et relâche dans l’air de grandes quantités de contaminants, dont l’arsenic. Comme dans la célèbre chanson du film Astérix et Cléopâtre, Le pudding à l’arsenic, la liste des poisons est impressionnante.

Manifestation du 13 octobre 2024 à Rouyn-Noranda. Crédit : Maude Desbois

En 2023, malgré une consultation où la majorité des personnes consultées trouvaient le plan proposé par la fonderie était insuffisant, le gouvernement a tout de même signé avec Glencore une entente ministérielle de 5 ans comportant des seuils progressifs : 65 ng/m³ en 2023, 45 ng/m³ entre 2024 et 2026, pour atteindre 15 ng/m³ en 2027 — toujours nettement supérieur à la norme de 3 ng/m³.

Il est important de le souligner : au terme de cette entente, la fonderie aura encore l’autorisation d’émettre 5 fois la norme d’arsenic, soit 15 nanogrammes par mètre cube. C’est énorme pour un cancérigène sans seuil sécuritaire!

De plus, l’entente prévoit qu’après 2028 la fonderie doit présenter un plan qui lui permettra d’enfin atteindre la norme pour l’arsenic, soit 3 ng/m³. Les plus récents calculs de la Santé publique estiment qu’un enfant né à Rouyn-Noranda en 2023 aura 94 fois plus de risque de développer un cancer qu’ailleurs au Québec. 2028, c’est donc incroyablement loin quand on sait que ce contaminant, et tous les autres, ont de véritables impacts sur la santé de la population.

À la plus grande surprise des principaux intéressés, la délocalisation forcée des 200 ménages vivant le plus près de l’industrie était également prévue. Une façon bien pratique d’agrandir le terrain de la fonderie et d’éloigner la station de mesure légale, et ce au détriment des gens qui y habitent…

Manifestation du 13 octobre 2024 à Rouyn-Noranda. Crédit : Maude Desbois

Une véritable communauté militante locale s’est formée en 2022 après le scandale médiatique impliquant le directeur de la santé publique de l’époque, Horacio Arruda, qui avait empêché la publication de données sur les taux de cancer et autres maladies. Depuis, ces groupes se mobilisent afin de demander le respect des normes établies scientifiquement pour tous les contaminants. Ça suffit d’être des citoyen·ne·s de seconde zone!

La multinationale Glencore déploie de son côté tout un arsenal de moyens afin de se libérer de ses obligations : chantage de fermeture, publicités vantant leur bilan écologique, lobbyisme auprès des élu.es et des instances locales, embauche d’un expert privé pour remettre en cause la crédibilité de la Santé publique…Comme on dit, tous les coups sont permis!

 

Abandon d’Aeris et demande de délai

Pour respecter l’entente ministérielle lui demandant de réduire ses émissions, la fonderie s’était engagée à mettre sur pied le projet Aeris. Estimé à 500, puis 750 millions de dollars, le projet a été abandonné officiellement quand les calculs ont été estimés à un milliard d’investissements pour la multinationale.

Glencore a plutôt annoncé qu’elle demandait un délai de 18 mois pour terminer ses travaux, ce qui mènerait au printemps 2028. Ensuite, seulement, elle débuterait son engagement de réduire ses émissions d’arsenic à 15 ng/m³. Ce changement nécessite une autorisation du gouvernement puisque le projet Aeris était un engagement officiel de la fonderie.

Au même moment, une lettre envoyée par la Chambre de commerce et de l’industrie de Rouyn-Noranda appuyait cette demande tout en remettant en question l’intégrité et les méthodes de la Santé publique. Cette sortie a d’autant plus sidéré la population que les 1200 entreprises membres n’avaient pas été consultées et qu’une représentante de la fonderie siège au Conseil d’administration de la Chambre de commerce.

Caricature publiée dans Le Devoir du 25 juillet 2025

Fermeture de la fonderie :stratégie ou possibilité?

Le 3 novembre dernier, plusieurs articles ont sorti l’information voulant que Glencore planifierait la fermeture de la fonderie. Bien habituée aux menaces de chantage de ce genre, la population de Rouyn-Noranda a accueilli la nouvelle avec un haussement d’épaule. Cette déclaration semblait s’accorder en droite ligne avec la stratégie habituelle de l'entreprise qui consiste à menacer de fermer pour obtenir ce qu’elle veut. Ici, probablement, des fonds publics pour améliorer ses installations et espérer réduire ses émissions d’arsenic.

Il reste que pour les travailleurs·ses de la fonderie, ce genre de nouvelle est incroyablement anxiogène! Au fil de la journée, les détails se sont précisés et il semble que ce soient les actionnaires qui aient demandé un plan de fermeture « juste au cas où». On peut imaginer que, pour des gens qui visent à faire du profit avant tout, une usine qui fait régulièrement les manchettes est un caillou dans la chaussure dont il serait agréable de se débarrasser.

Il faut aussi ajouter que la demande d’Action collective déposée contre l'entreprise et le gouvernement du Québec a été autorisée à aller de l’avant, ce qui n’a sûrement rien d'agréable pour des investisseurs. Une chose est certaine, autant la population que les travailleurs·ses sont maintenus captifs·ves de cette situation où ils ne semblent avoir que peu de pouvoir. Au final, les citoyen·ne·s s’inquiètent et se déchirent pendant que le gouvernement laisse les choses aller.

Manifestation du 13 octobre 2024 à Rouyn-Noranda. Crédit : Maude Desbois

Assez c’est assez!

Pour les Mères au front de Rouyn-Noranda, il est inacceptable que notre communauté soit exposée à des émanations toxiques qui vont au-delà des normes établies scientifiquement. Le territoire de Rouyn-Noranda et sa population n’est pas une zone à sacrifier pour le profit de quelques-uns. La fonderie peut très bien ajuster son modèle d’affaire à l’état de ses installations et n’accepter que les intrants qu’elle peut traiter sécuritairement. Il est également inacceptable qu’une multinationale puisse remettre en cause la science dans ses techniques de lobbyisme dignes de l’industrie du tabac. Heureusement, la DSP de l’Abitibi-Témiscamingue tient bon et réaffirme que la norme est de 3ng/m³ pour l’arsenic.

Nous demandons de la transparence pour la suite des choses. Notre gouvernement a-t-il l’intention d’accéder aux demandes de délais de la compagnie? Et a-t-il un plan advenant une fermeture de la fonderie, un plan qui protégerait financièrement les travailleurs·ses et qui prévoierait une réhabilitation du site? Ces discussions doivent avoir lieu avec bonne foi et pour l’intérêt du plus grand nombre.

Manifestation du 13 octobre 2024 à Rouyn-Noranda. Crédit : Maude Desbois

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Le livre Zones sacrifiées relate la lutte citoyenne sous la plume de plusieurs citoyen.nes et artistes

Le documentaire Notre‑Dame‑de‑l’Arsenic est disponible sur tou.tv

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