De la Marche mondiale des femmes à Mères au front : L’écoféminisme décolonial en action au Québec
Par
Claudia Santibanez
September 19, 2025
En 1995, 800 femmes ont marché sur les routes du Québec en réclamant « Du pain et des roses ». Trente ans plus tard, des mères se lèvent aux côtés des Premières Nations, les gardien·ne·s des territoires ancestraux, contre des projets capitalistes qui menacent de livrer un tiers des forêts publiques à l’industrie. Cette continuité des luttes n’est pas un hasard : elle révèle l’émergence d’un écoféminisme décolonial qui lie indissociablement justice sociale, égalité des femmes, protection de l’environnement et reconnaissance des droits des personnes autochtones.
Puisée à même l’expérience transformatrice « Du pain et des roses » de 1995, c’est dans ce terreau fertile de l’engagement féministe québécois que la Marche mondiale des femmes trouve racine, portée par la Fédération des femmes du Québec, et sous l’impulsion de nulle autre que la militante et femme politique féministe, Françoise David. Cette émergence nouvelle était alors la démonstration tangible de la puissance de la mobilisation citoyenne, particulièrement celle des femmes, une voix jusqu’alors peu visible au Québec. Cette marche de dix jours - Du pain et des roses - qui a rassemblé des centaines de femmes afin de parcourir 200 kilomètres à pieds, portait déjà en elle les germes d’une vision écoféministe : réclamer à la fois du pain (les besoins essentiels) et des roses (la qualité de vie, la beauté, la solidarité et la dignité).
Il est également très intéressant d’observer que l’évolution de la Marche mondiale des femmes, parallèlement à celle du mouvement Mères au front, illustre parfaitement la manière dont les mouvements sociaux s’adaptent aux défis de leur époque. Si les marcheuses de 1995 réclamaient une justice économique et une dignité sociale, les Mères au front d’aujourd’hui élargissent cette vision en incluant le futur du vivant, des enfants, et de la Nature, en tant que luttes essentielles à la survie de toute l’humanité.
Cette progression n’est certainement pas fortuite. Elle trouve sa source dans une compréhension nouvelle et approfondie de l’intersectionnalité des oppressions. L’écoféminisme révèle, pour sa part, la façon dont « la crise environnementale touche de manière disproportionnée les femmes* »; particulièrement les femmes racisées, autochtones et en situation de pauvreté. Cette prise de conscience d’une grande importance a donné naissance à un mouvement pan-québécois qui refuse de diviser les luttes, et qui, en seulement cinq ans d’existence, a évolué à grandes enjambées, s’adaptant sans cesse à cette compréhension actualisée de l’écoféminisme, ainsi qu’à son évolution au sein des luttes et des communautés.
La rencontre entre la Marche mondiale des femmes et l’engagement de Mères au front dessine un avenir prometteur pour le Québec, et au-delà. Cette alliance permet de reconnaître que la crise climatique est indissociable des inégalités de genre; que la protection de l’environnement passe par l’émancipation des femmes; et que les mères, en tant que gardiennes de la vie, ont un rôle central à jouer dans cette transformation.
De plus, cette convergence des luttes s’inscrit dans une perspective écoféministe décoloniale plus vaste encore, puisque la plupart des écoféministes au Québec sont également mues par une volonté d’inclusion, en plus de mettre la nécessité de « décoloniser nos mouvements sociaux* » à l’avant-plan. En ce sens, l’écoféminisme s’engage à faire converger les luttes féministes et écologistes, en mettant en exergue une nouvelle hiérarchie de valeurs semblable à celle de nombreux peuples autochtones.
Alors que l’urgence climatique et la transition socio-écologique nous demandent de reprendre la route, à l’instar des marcheuses de 1995 qui réclamaient du pain et des roses, nous devons exiger de la part de nos gouvernements un engagement formel envers nos enfants, afin de leur assurer un avenir vivable et viable. L’écoféminisme québécois actuel nous montre déjà la voie à suivre - aucune lutte ne peut être menée de façon isolée, et nous devons nous rassembler.
Face aux polycrises, à la pollution industrielle, aux inégalités persistantes et grandissantes; vis-à-vis des projets de lois tels que le PL 97 et le PL C-5, nous n’avons d’autre choix que de nous mobiliser massivement afin de protéger la biodiversité et les droits humains fondamentaux à vivre dignement dans un environnement sain et sécuritaire pour tous·tes.
Les revendications de la Marche mondiale des femmes – élimination de la pauvreté, fin des violences envers les filles et les femmes, justice sociale; le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux des humains, des communautés et de la biodiversité – demeurent d’une criante actualité et sont désormais nourries par l’urgence climatique ayant cours.
Parce que, trente ans après « Du pain et des roses », nous sommes encore en marche pour transformer le monde, et le message résonne plus fort que jamais,« On doit trouver le courage de pointer l’empereur qui est nu ! Même si des fois le doigt se tourne vers nous même* ».